Sommaire
Un profil de demande thermique en forte évolution
Les conséquences de l’isolation des parois extérieures
Hier et aujourd’hui
(couleur beige = isolant).
Le fonctionnement thermique des bâtiments tertiaires subit une révolution depuis 20 ans suite à la conjugaison de 3 facteurs :
- Un renforcement de l’isolation et surtout l’arrivée de vitrages très performants.
- Une explosion des apports internes électriques.
- Une tendance à augmenter les surfaces vitrées en façade.
Résultats d’une simulation informatique
Pour un même immeuble type de bureau, nous avons comparé les bilans énergétiques entre une construction ancienne (simple vitrage, murs non isolés, …) avec une version usuelle aujourd’hui (double vitrage, murs isolés, …). Voici les bilans obtenus (évolution de la demande en fonction de la température extérieure, celle-ci variant de – 10 à + 30 °C) : Une évolution sensible par rapport aux bâtiments des années 70 apparaît :
Si autrefois le chauffage était arrêté par + 15°C extérieur, aujourd’hui le chauffage des locaux est arrêté dès + 11°C extérieur, voire moins s’il y a beaucoup d’apports internes (la chaudière reste en service pour l’éventuel chauffage de l’air neuf et de l’eau chaude sanitaire). En mi-saison, des locaux restent en demande de chaleur au nord, alors que la façade sud est déjà en demande de refroidissement. |
L’isolation diminue la demande de chauffage (hiver) et augmente la demande de refroidissement (été). Mais le bilan global des consommations annuelles est toujours positif en faveur de l’isolation.
Par rapport à un bâtiment mal isolé, la consommation de chauffage tombe au tiers de sa valeur. Et parmi ce tiers restant, le chauffage de l’air neuf hygiénique représente la moitié des besoins.
Si autrefois il y avait 8 mois d’hiver et 4 mois d’été, aujourd’hui la période de chauffe est limitée à 6 mois (15 octobre – 15 avril).
Mais le besoin de rafraîchissement est accru, en été et en mi-saison.
La diminution de l’inertie et l’augmentation des gains internes
Autrefois, le bâtiment disposait d’une bonne inertie thermique qui lissait les pointes d’apports solaires en journée (les bâtiments ne se comportaient pas comme une voiture laissée en plein soleil …) grâce à l’immense réservoir que constituait la masse des parois.
Suite à sa faible isolation, le bâtiment se “déchargeait” la nuit de la chaleur accumulée en journée.
Aujourd’hui, la tendance va vers :
- La diminution de l’inertie pour des raisons fonctionnelles (tapis, faux plafond, cloisons mobiles, …).
- L’augmentation des équipements de bureautique (doublement des consommations électriques du secteur tertiaire durant ces 15 dernières années !).
- L’amplification des apports solaires suite au souhait du Maître d’Ouvrage de larges baies vitrées.
- La chaleur interne se retrouve “piégée” dans le bâtiment suite à l’isolation des parois.
Faut-il une forte isolation ? Ne perd-on pas en climatisation ce que l’on gagne en chauffage ?
Non, toutes les simulations informatiques montrent que le bilan reste bénéficiaire en faveur de l’isolation, notamment parce que la saison de chauffe est plus longue que l’été.
Voyons les choses positivement : autrefois, on n’avait pas conscience de l’existence d’une “chaleur interne” parce que celle-ci était négligeable face aux déperditions des parois. A présent, les fuites de chaleur étant maîtrisées et les apports internes amplifiés par l’évolution technologique, ces apports viennent à satisfaire en bonne partie nos besoins hivernaux. Nous arrivons à chauffer nos bureaux avec 7 litres de fuel au m², contre 20 à 25 dans les années 50. Et c’est tant mieux.
Puisqu’une consommation électrique minimale est nécessaire (bureautique, éclairage, …), tant mieux si nous pouvons “utiliser une deuxième fois” cette énergie pour nous chauffer.
Quant aux besoins de rafraîchissement, la courbe bleue du diagramme ci-dessus montre qu’ils apparaissent majoritairement lorsque la température extérieure est entre 14 et 22°C, c.-à-d. plus froide que l’ambiance intérieure. À ce moment, il devrait être possible “d’ouvrir le bâtiment” pour valoriser l’air frais et décharger le bâtiment,… mais le bruit, la pollution de l’air ou le risque d’intrusion rendent cette ouverture parfois complexe.
Ceci renforce l’importance d’une conception initiale du bâtiment adaptée à ce nouveau profil de consommation et la mise en place d’un système de refroidissement qui valorise l’air frais extérieur.
Pour plus d’informations sur l’évolution des besoins thermiques des immeubles, suite à l’isolation des parois. |
Et ceci ne nous épargne pas la nécessité de trouver une solution pour gérer la période de canicule !
Optimaliser le volume du bâtiment
En réalité la chose n’est pas simple : il s’agit de trouver, selon la programmation du bâtiment et le contexte d’implantation (forme et taille du terrain, environnement bâti ou paysager, …) le compromis optimal entre :
- une grande compacité pour limiter les pertes de chaleur,
- et une faible compacité pour profiter d’éclairage naturel et faciliter le rafraîchissement par ventilation naturelle.
L’intérêt de la forte compacité
Un bâtiment compact, s’approchant du cube, a peu de pertes de chaleur. La surface de déperdition de l’ensemble de ses façades est limitée par rapport au volume des locaux. Les zones centrales, en contact avec d’autres locaux à la même température, ont beaucoup moins de pertes de chaleur que les locaux périphériques.
Par contre, ces zones sont difficilement éclairées et ventilées naturellement.
L’intérêt de la faible compacité
Un bâtiment peu compact (barre, en “peigne”, carré avec cour intérieure, présentant de nombreux décrochements, …) a une surface de façade plus importante par rapport au volume des locaux et aura donc plus de déperditions, et une demande de chauffage accrue.
Par contre, le fait d’avoir plus de locaux en façade permet de les éclairer naturellement, et d’organiser relativement facilement une ventilation naturelle.
Exemple : Queen’s Building de l’Université de Montfort, en Angleterre. Les locaux, ventilés naturellement, sont agencés par rapport à leur fonction et la développée de l’enveloppe est importante.
Plan du premier niveau :
- ateliers d’électricité
- salles de cours
- atrium
- auditoires
- laboratoire de mécanique
Concrètement
Selon les cas, le juste compromis sera en faveur de l’une ou de l’autre solution.
Dans les bâtiments récents, bien isolés, le problème de la surchauffe et de la consommation de froid prend de plus en plus d’importance par rapport à celui de la consommation de chauffage.
Il convient donc, a priori, de favoriser autant que possible l’éclairage naturel et les possibilités de refroidir naturellement le bâtiment par ventilation naturelle intensive en :
- Limitant la profondeur des locaux. On recommande de limiter la profondeur des bureaux au double de la hauteur du local, soit à environ 6 m. Ainsi, si deux rangées de bureaux sont séparées par un couloir central, cela donne une profondeur de bâtiment d’environ 15 m.
- Limitant le nombre d’étages à 2 ou 3 idéalement. Les contraintes techniques pour organiser une ventilation naturelle intensive dans des bâtiments plus hauts deviennent très lourdes (exemple : cheminées hautes).
Limiter les besoins de chauffage
Opter pour un bâtiment bien isolé
L’isolation de l’enveloppe est, et de loin, le moyen le plus efficace pour réduire la consommation d’un bâtiment. Et les vitrages très performants permettent aujourd’hui de diminuer drastiquement les consommations d’hiver.
Non, on n’isole JAMAIS trop. L’isolation diminue la demande de chauffage en hiver et augmente celle de refroidissement en été, mais le bilan global des consommations annuelles est toujours en sa faveur.
Il est toujours utile d’isoler, même si cela entraîne la nécessité de climatiser. Bien entendu, l’idéal est de trouver des solutions naturelles pour rafraîchir le bâtiment et éviter ainsi le refroidissement mécanique.
Dans les propos ci-dessous, on supposera toujours que le bâtiment est bien isolé.
On donnera également aux concepteurs le temps et les moyens nécessaires pour étudier les détails de construction à prévoir pour éviter les ponts thermiques (principe de continuité de l’isolation).
Pour plus de détails sur la conception des détails de façades. |
Favoriser l’étanchéité de l’enveloppe
Le problème est qu’il est impossible d’arrêter ce type de ventilation lorsqu’elle n’est pas nécessaire, en dehors des temps d’occupation notamment. Or elle est fortement consommatrice d’énergie.
Aujourd’hui, il convient de réaliser une enveloppe très étanche à l’air (parois, joints, portes, etc.) et d’organiser une ventilation hygiénique contrôlée (naturelle ou mécanique).
- Lors de la construction, on sera très attentif à l’étanchéité à l’air des parois. Le bâtiment ne doit pas se “décharger” de sa chaleur en hiver par des fuites multiples de son enveloppe. La norme européenne EN 13779 recommande un taux de renouvellement d’air maximum sous la pression d’essai de 50 Pa (n50) de 1/h, ce qui génère en moyenne un taux de renouvellement d’air par infiltration de 4 % (0,04/h).
“Blower-test” de contrôle de l’étanchéité .
- Il sera très utile de prévoir un sas à l’entrée du bâtiment, particulièrement en cas de climatisation de celui-ci.
- On sera très attentif également à la fermeture des grilles de châssis (ventilation hygiénique) pendant la nuit et le week-end, quitte à installer des grilles motorisées si la motivation future de l’occupant paraît faible…
Limiter les besoins de chauffage de l’air neuf hygiénique
Dans un immeuble bien isolé d’aujourd’hui, le chauffage de l’air neuf hygiénique génère plus de la moitié des consommations de chauffage. On veillera dès lors à :
- Limiter le débit d’air neuf à 30 m³/heure/personne en période de chauffe. Ce débit peut bien sûr être augmenté en mi-saison et/ou en été.
- Favoriser les installations de ventilation “double flux” : une école est occupée 25% du temps, un bureau 30% du temps ! Il est donc fondamental de pouvoir stopper le débit d’air en période d’inoccupation.
- Gérer ce débit en fonction de la présence effective des occupants : un capteur (détecteur de présence, sonde CO2, …) peut permettre de moduler le débit, par palier (ventilateur à plusieurs vitesses) ou en continu (ventilateur à vitesse variable). Tout particulièrement, le débit d’air neuf sera stoppé lors de la relance du bâtiment (le lundi matin, par exemple), avant l’arrivée des occupants.
- Préchauffer l’air neuf hygiénique par récupération de chaleur
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- Sur l’air extrait (échangeur à plaques, par exemple). Idéalement, il faudra prévoir alors que les conduites d’extraction soient proches des conduites de pulsion d’air.
- Sur une zone tampon du bâtiment. Par exemple, une prise d’air placée dans un atrium captera de l’air déjà préchauffé par le bâtiment et/ou le soleil.
- Sur un puits canadien dans le sol pour capter l’énergie géothermique.
- Sur un condenseur de machine frigorifique, si celui-ci présente un fonctionnement annuel. On imagine par exemple qu’un rideau d’air chaud à l’entrée du bâtiment puisse être alimenté par le refroidissement de la salle informatique ou de la chambre froide de la cuisine.
Si ces idées sont retenues dès le début du projet, elles entraînent peu de surcoûts.
Pour plus de détails sur la conception des installations de ventilation. |
Faut-il forcément climatiser le bâtiment ?
Pour certains, le rafraîchissement de l’ambiance intérieure semble aujourd’hui incontournable. Le maître d’ouvrage se trouve-t-il alors confronté à l’obligation d’investir à la fois dans une installation de chauffage, certes plus petite qu’avant, mais aussi dans une installation de refroidissement ?
Non, une machine frigorifique ne doit pas être obligatoirement être installée dans nos régions. Mais une “stratégie de rafraîchissement active” doit être étudiée si la puissance thermique des apports de chaleur dépasse 50 à 60 W/m² au sol.
Décrivons ci-dessous ces diverses possibilités.
Calculs |
Pour évaluer la puissance thermique prévisible dans un local et vérifier que les 60 W/m² ne sont pas dépassés, nous vous proposons
une feuille de calcul simplifiée sur Excel. |
Trois stratégies sont possibles :
Stratégie 1 : limiter les sources de chaleur et se passer de la machine frigorifique
Constat : depuis l’âge de la pierre, l’homme se chauffe. Cela se comprend, il souhaite vivre dans une ambiance entre 20 et 24°C. Or la température moyenne extérieure annuelle dans nos Régions est de 10°C. Un complément de chaleur est nécessaire.
Par contre, la température à Uccle dépasse 24° durant 2 % de l’année seulement ! Autrement dit, 98 % du temps, il fait plus froid à l’extérieur du bâtiment qu’à l’intérieur. Comment se fait-il que nous ayons alors besoin d’une machine frigorifique pour le refroidir ???
Inspirons-nous du mas provençal (qui reste bien frais même lorsqu’il fait torride à l’extérieur) pour construire un bâtiment.
- Il dispose de suffisamment d’inertie intérieure pour stabiliser les variations de température en journée,
- il “décharge” le bâtiment via un rafraîchissement nocturne par air (free cooling) ou par eau (slab cooling) pour évacuer l’excédent de chaleur grâce à l’air frais de la nuit.
Free cooling et slab cooling.
Pour vous faire une opinion, voici trois exemples conçus en Angleterre, pays qui a pris beaucoup d’avance dans ce domaine :
Le bâtiment environnemental du “BRE”. | |
Le centre administratif de Powergen. | |
Le “Queen’s Building” de l’Université De Monfort. |
Mais en Belgique aussi, des initiatives sont prises, comme dans le bâtiment IVEG à Anvers :
Le bâtiment IVEG. |
Stratégie 2 : installer chauffage et refroidissement, mais en limiter l’usage aux périodes extrêmes
Analysons la répartition des températures extérieures à Uccle :
Admettons l’évolution actuelle vers l’installation d’une machine frigorifique. Ce n’est pas en soit plus mauvais de refroidir que de chauffer (contrairement à une idée couramment répandue, avec un 1 kWh électrique au compresseur, on produit 3 kWh de froid. Et pour obtenir 1 kWh électrique en sortie de centrale, il faut consommer 2,8 kWh d’énergie primaire. Donc le bilan entre chauffage et refroidissement est neutre).
L’objectif de conception devient :
- recours au chauffage des locaux durant les seules périodes de grands froids (T°ext <…5°C…),
- recours au refroidissement mécanique aux seules périodes chaudes (T°ext >…18°C…),
- durant le reste du temps (5°C < T°ext > 18°C), c.-à-d. plus de 60 % de l’année, les apports internes et externes “gratuits” assurent le chauffage, et l’air extérieur assure le refroidissement de mi-saison. Aucun apport thermique par combustible ne doit être apporté à ce moment.
Cela sous-entend une conception adaptée du bâtiment (pouvoir ouvrir les façades dès qu’il fait trop chaud à l’intérieur, par exemple) et du système de climatisation (conçu comme un appoint), ainsi que le placement d’un récupérateur de chaleur sur l’air extrait, …
C’est une solution à très basse consommation, mais qui nécessite parfois un investissement plus élevé, sauf si le même système gère le chaud et le froid (slab cooling, pompe à chaleur, …). En contre-partie, elle apporte une garantie de résultat final : chauffage et climatisation sont présents pour couvrir toute période de pointe, toute évolution future du bâtiment.
Comment choisir ?
La première stratégie devrait a priori être toujours étudiée. Puisqu’elle ne fonctionne que si les apports de chaleur sont drastiquement réduits, ceci sous-entend que l’approche énergétique est globale. On y gagne donc deux fois : parce que les équipements sont à faible consommation et parce qu’ils n’ont pas entraîné le fonctionnement d’un climatiseur. De plus, la simplification des systèmes est une garantie d’exploitation future à faible coût. Enfin, elle permet à l’occupant de retrouver le contact avec l’extérieur par l’ouverture des fenêtres, ce qui est luxe à nul autre pareil.
La deuxième stratégie est certainement prometteuse. Cette recherche “d’autonomie” maximale du bâtiment sans énergie autre que celle des équipements interne (éclairage et bureautique) et externe (soleil), cette conception des systèmes de chauffage et de refroidissement comme appoint en période de pointe, … constitue un des défis majeurs à relever pour les bâtiments futurs. Lorsque le contexte l’impose (environnement bruyant et pollué, volonté de garantir une stricte consigne de température intérieure, …), c’est la voie à suivre. Elle demande de la créativité tant à l’architecte qu’à l’ingénieur. Encore faut-il leur en laisser le temps et les moyens dans la phase de conception.
À noter une troisième stratégie “de compromis” :
Peut-être qu’une climatisation partielle du bâtiment est la solution ? Dans les locaux avec forte production de chaleur interne (le centre informatique d’une société d’assurances, par exemple), la climatisation s’impose. Mais il est possible de regrouper dans cette partie du bâtiment les équipements les plus dispensateurs de chaleur (photocopieuses, imprimantes, …) et d’y prévoir une installation de free-chilling (by-pass de la machine frigorifique en hiver et refroidissement direct sur l’air extérieur). Une telle centralisation des équipements de bureautique permet également de mieux gérer le bruit dans les locaux : les moniteurs des PC sont centralisés en ne laissant plus l’accès qu’aux écrans et claviers. Des lecteurs communs de CD ou de disquettes sont accessibles en partage. De même, l’ensemble des locaux de réunion peuvent être regroupés (superposés, un ou deux par étage) et gérés par une installation “à volume d’air variable” (VAV). Enfin, les autres locaux, dégagés des apports thermiques principaux, peuvent alors être gérés par refroidissement naturel. A chaque besoin,… sa solution. Et cette “décomposition thermique” du bâtiment peut avoir un impact extérieur visible sur son architecture, … ce qui n’est pas inintéressant ! |
Mise en page : Aout 2009 Sylvie
Mise en page : janvier 2020 Sylvie