Amélioration de la production d'eau chaude sanitaire au centre de Hemptinne

© Yves Goethals.


Impossible d’assurer les bains en hiver !

Créé en 1974 sous l’impulsion de l’Association Nationale d’Aide aux Handicapés Mentaux, le centre de Hemptinne héberge 54 personnes adultes atteintes de déficience mentale.

Son objectif est de construire avec ces personnes un monde adapté à leurs capacités, leurs besoins et leurs envies. Il doit allier sécurité et réalisation de soi par le biais d’activités rurales, physiques et créatives.

Le centre, situé à Jauche au milieu des bois et des champs, est installé dans les bâtiments d’un ancien sanatorium datant des années 30. Celui-ci est en cours de rénovation et d’adaptation aux spécificités de sa population. En particulier, les pensionnaires y vieillissent.

Pour répondre à cette problématique, plusieurs projets sont en chantier : aménagement des salles de bain, adaptation des activités, construction d’ateliers d’occupation et de loisir, rue intérieure, …

Actuellement, le centre comprend 6 salles de bains avec 2 baignoires. Chaque matin et chaque soir, ce sont ainsi 54 bains qui sont donnés. Malheureusement, depuis de nombreuses années, les problèmes apparaissent avec l’hiver : par grand froid, seuls 12 bains peuvent être remplis avec une température d’eau convenable. À partir du 13ème remplissage, la température de l’eau chute rapidement.

L’ancien sanatorium dans les années 30.

Le centre de Hemptinne aujourd’hui.

Avant de devenir le responsable technique du centre, Mr Jallet y était éducateur. Il connaît donc parfaitement les difficultés qu’engendre cette situation. L’inconfort est évidemment intolérable pour les résidents et leur encadrement en est d’autant plus difficile.

C’est pourquoi, sous l’impulsion de son directeur, Mr Asselbourg, il se met un point d’honneur à corriger le plus rapidement possible la situation.


Trois offres différentes

L’eau chaude est produite par deux échangeurs instantanés, combinés à l’installation de chauffage. Au moment des bains, les chaudières ne peuvent pas être dédiées uniquement à la production d’eau chaude. En effet, cette période de plus d’une heure est trop longue et une coupure de chauffage serait trop inconfortable. Chauffage et eau chaude doivent donc pouvoir coexister.

Deux chaudières de 406 kW chacune.

Deux échangeurs sanitaires de 328 kW chacun.

Installation de production combinée de chauffage et d’eau chaude sanitaire

Dans un premier temps, Mr Jallet demande à trois installateurs de lui remettre une offre pour la rénovation de la production d’eau chaude sanitaire. Les réponses reçues l’interpellent.

En effet, les trois demandes débouchent sur trois solutions différentes. Le premier installateur estime que la puissance des chaudières est insuffisante pour chauffer simultanément les bâtiments et l’eau chaude. Il propose donc d’installer une nouvelle chaudière de 575 kW et de la coupler aux deux anciennes. Le deuxième installateur suit un raisonnement semblable mais préfère découpler le chauffage de la production d’eau chaude en installant des nouvelles chaudières indépendantes dédiées uniquement aux échangeurs sanitaires. Enfin, la troisième société décide, elle, de compléter les échangeurs par quatre ballons tampon de 500 litres chacun. Ceux-ci auraient une capacité suffisante pour subvenir aux besoins de pointe et se réchaufferaient lentement entre les périodes de bains.

Face à ces propositions, Mr Jallet s’interroge. Tout d’abord, pourquoi trois solutions différentes ?

Ceci signifie-t-il que le problème est plus complexe qu’il n’en a l’air ? Les installateurs ont-ils pris le temps de l’examiner avec précision ? De plus, les investissements préconisés sont importants. Dans ces conditions, comment faire son choix ? Quelle garantie de résultat a-t-on ?


Comprendre avant d’agir

La réflexion de Mr Jallet se précise : en 1979, l’installation de chauffage avait été conçue par un bureau d’études. Celui-ci disposait de tout les éléments de dimensionnement et a sûrement pris des coefficients de sécurité importants. C’était la coutume à l’époque. Alors, tout compte fait, l’installation comprend peut-être tous les éléments nécessaires à un fonctionnement correct. Un simple réglage ou le remplacement d’un équipement défectueux suffisent peut-être simplement pour obtenir le confort recherché. Ceci serait sûrement nettement moins coûteux.

Avec l’aide de l’Institut de Conseils et d’Études en Développement Durable, les responsables du centre décident alors de prendre le temps d’analyser plus en profondeur et surtout de façon “neutre” le comportement de leur installation. Ils pourront décider en connaissance de cause.

Schéma technique.

En tout premier lieu, il faut observer les circonstances exactes d’apparition des problèmes : où et quand apparaît l’inconfort ? Voici 3 questions qui peuvent orienter les débats :

Les problèmes sont-ils récents ou ont-ils toujours existés ?

S’ils ont toujours existé, c’est la conception de l’installation qui est en cause (dimensionnement des équipements, mauvais dessin de l’installation, …). S’ils sont récents, il faut repérer les circonstances d’apparition des plaintes. Par exemple, le repiquage d’un nouveau circuit sur l’installation existante peut perturber le fonctionnement hydraulique de celle-ci, des travaux sur l’installation peuvent provoquer un transfert de sédiments et bloquer des éléments, un échangeur peut s’entartrer progressivement, un circulateur tomber en panne,…

Les problèmes sont-ils saisonniers ?

S’ils n’apparaissent qu’en hiver, c’est que la collaboration avec le chauffage se passe mal.

S’ils apparaissent aussi en été, ce sera plutôt l’appareil de production d’eau chaude seul qui sera mis en cause. Par exemple, la puissance de l’échangeur est peut-être insuffisante.

Y-a-t-il des problèmes pour tous les utilisateurs ?

Si seuls les utilisateurs les plus éloignés de la production sont concernés, c’est du côté de la distribution d’eau chaude qu’il faut chercher. Si par contre, tous les points de puisage sont touchés, c’est la production qui devrait être suspectée.

Dans le cas présent, le manque d’eau chaude survient pour tous les utilisateurs lorsque les demandes d’eau sanitaire et de chauffage sont maximales, c’est-à-dire, en plein hiver, au moment des bains.

Dans ce cas, en quoi le chauffage peut-il influencer la production d’eau chaude ?

Premièrement, une puissance insuffisante des chaudières ne permettra pas aux échangeurs d’être alimentés à la bonne température. C’est la cause directement retenue par les installateurs consultés.

Un deuxième phénomène peut cependant intervenir. En plein hiver, les vannes (mélangeuses, thermostatiques, …) sont pour la plupart ouvertes en grand. La demande en débit des circuits de chauffage est donc maximum. Si leurs circulateurs ont été surdimensionnés, les débits appelés risquent d’être trop importants. Les échangeurs sanitaires sont alors privés d’un débit suffisant.


Vérification des puissances installées

Pour vérifier la puissance des chaudières, il faut connaître les besoins en chauffage et en eau chaude sanitaire. On peut estimer les besoins en eau chaude sanitaire par un relevé des puisages effectués durant les heures de pointe.

Les estimations ont été confirmées par le placement d’un compteur d’eau sur l’alimentation de chaque échangeur. Les relevés des compteurs ont indiqué un puisage de pointe en 10 minutes de 727 l d’eau à 60°C.

Estimation des puisages maximum simultanés

Utilisation Besoins en eau à 60°C
12 baignoires 12 x 60 l/10 min.
5 lave-linge 5 x 10 l/10 min.
12 éviers SDB 12 x 4 l/10 min.
6 bacs cuisine 6 x 12 l/10 min.

Total

890 l à 60°C puisée en 10 min.

Les compteurs d’eau sont indispensables pour connaître précisément les besoins en eau chaude et donc pour dimensionner correctement les installations de production. Par la suite, ils permettent de suivre les consommations d’eau chaude et donc de détecter des fuites éventuelles, des dérives ou encore l’impact de points de puisage économiques.

Les besoins maximaux en chauffage ont été estimés grâce à un calcul des déperditions thermiques des bâtiments.

Puissances estimées
Besoins en eau chaude 2 x 155 kW
Besoins en chauffage 500 kW

Total

810 kW

Puissances réelles

Puissance nominale chaudières 812 kW
Puissance nominale échangeurs 2 x 328 kW

On constate deux choses. Premièrement, les échangeurs installés sont surpuissants. Ensuite la puissance des chaudières est théoriquement suffisante pour répondre à la demande. “Théoriquement” parce que, comme on le découvrira un peu par hasard ensuite, elles ne fonctionnent pas dans leurs conditions nominales.

De plus, on peut observer que par les plus grands froids, les chaudières ont du mal à maintenir leur température de consigne en période de bains. En première approche, on peut cependant supposer que le léger manque de puissance des chaudières n’est pas la cause principale de l’inconfort.


Interférence entre les circuits

Si la production de chaleur n’est pas en cause, il faut se tourner vers la distribution. En hiver, les échangeurs sont-ils alimentés à leur débit nominal ?

Il est possible de mesurer le débit d’un circulateur avec un simple manomètre. On peut dès lors comparer les mesures aux besoins estimés tant en chauffage que pour les échangeurs.

Mesure du débit des circulateurs grâce à un manomètre.

Les résultats obtenus sont significatifs. Lorsque l’on force les vannes mélangeuses des circuits de chauffage à s’ouvrir en grand (simulation du plein hiver), le débit dans les échangeurs d’eau chaud sanitaire chute en dessous du débit minimum nécessaire. Ceci signifie que les circulateurs “chauffage” sont surdimensionnés et qu’à l’ouverture des vannes, ils “court-circuitent” une partie du débit dédié aux échangeurs sanitaires. On retrouve d’ailleurs un indice de ce surdimensionnement à l’intérieur des locaux où la vitesse excessive de l’eau se fait entendre dans les radiateurs.

Le surdimensionnement des circulateurs est chose courante. Tout d’abord parce que lors de la conception, les bureaux d’études appliquent un certain nombre de coefficients de sécurité. Par la suite, au cours de la vie de l’installation, un circulateur défectueux est remplacé au mieux par un circulateur identique, au pire par le circulateur que l’on possède en réserve et qui a des caractéristiques suffisantes par rapport à l’ancien modèle. De fils en aiguilles, les caractéristiques des circulateurs originaux sont oubliées et l’installation ne correspond plus aux calculs de dimensionnement.

La plupart des circulateurs actuels possèdent un réglage de vitesse (de 1 à 3 ou 4 vitesses). La tendance naturelle veut, comme c’était le cas au Centre de Hemptinne, que tous les circulateurs soient réglés sur leur vitesse maximum. Ceci nous laisse cependant une possibilité d’amélioration. Par mesure de débit, on constate en effet qu’il est possible d’assurer le chauffage avec les circulateurs réglés en vitesse 2, ce qui a pour conséquence d’augmenter les débits dans les échangeurs sanitaires.

Mesure des débits pour le circuit 1
Vitesse du circulateur chauffage
[Tours/min]
Débit circuit chauffage
[m³/h]

Débit échangeur ECS
[m³/h]

1 410 15 7
1 140 14 11
680 8,5 11

Besoins calculés

12 9

Un échangeur encrassé !

Cependant, malgré un débit primaire maintenant suffisant, les échangeurs ne donnent pas entière satisfaction. La température de consigne de l’eau chaude (55°C) ne peut être atteinte. Tout au plus délivre-t-on une eau à 45°C. En fait l’échange de chaleur au sein de l’échangeur sanitaire se fait très mal. L’eau en provenance de la chaudière retourne pratiquement aussi chaude qu’elle n’est arrivée.

L’échange de chaleur peut être freiné soit par un entartrage du côté secondaire, soit par un embouage du côté primaire. On penche pour la première solution. En effet, les échangeurs ne sont détartrés que manuellement une fois par an par le service technique du Centre. Celui-ci est conscient que le travail ne peut être correctement réalisé (pas de mise sous pression, pas de dosage correct des réactifs, …). Cependant puisqu’en été, la quantité d’eau chaude délivrée est suffisante, ce problème avait été considéré comme secondaire.


Perte de puissance des chaudières

Entre-temps,le brûleur d’une des deux chaudières a rendu l’âme. Lors du démontage et de l’entretien, on remarqua que certains tubes de fumées des chaudières étaient pratiquement bouchés par des agglomérats de suies et d’acier corrodé. Il apparut clairement alors que les chaudières dont on avait jugé la puissance théoriquement suffisante, ne pouvaient plus délivrer leur puissance nominale.

Un des deux brûleurs modulants rend l’âme.


Trois améliorations

On voit que la solution au problème posé n’est pas unique. C’est à une combinaison de trois éléments que l’on a affaire :

  • manque de débit dans les échangeurs sanitaires,
  • entartrage de ces échangeurs,
  • manque de puissance des chaudières par corrosion.

Il n’est dès lors même pas certain que les trois premières propositions d’amélioration remises par les installateurs auraient, toutes, donné satisfaction. Rajouter une chaudière dans la cascade sans jouer sur l’hydraulique n’aurait en tout cas servi à rien. Les investissements à consentir pour mettre en ordre l’installation sont, en outre, nettement moindres que ce qui avait d’abord été prévu.

Pour rétablir le confort, il faut donc agir sur trois fronts.

> Tout d’abord, diminuer la vitesse des circulateurs “chauffage”. Ceci n’est possible que sur un des deux circulateurs, le deuxième ne possédant pas de sélecteur de vitesse. Des mesures effectuées sur le premier circulateur ont montré que le passage de la vitesse maximum à la vitesse intermédiaire serait suffisant pour garantir le débit nominal dans l’échangeur. L’autre circulateur doit être remplacé. Il fut, malgré tout, décidé de remplacer les deux circulateurs par des circulateurs à vitesse variable. Ceux-ci ont deux avantages : un réglage précis du débit maximum et une variation automatique de la vitesse en fonction de la demande de chaleur.

Il en résulte une économie d’énergie électrique et une diminution du sifflement des vannes thermostatiques lorsque beaucoup d’entre elles se ferment.

Nouveau circulateur à vitesse variable.

> Un des deux échangeurs fut détartré en usine par le fabricant. Cette opération fut réalisée en moins d’une journée. L’échangeur fut enlevé après les bains du matin et replacé avant la toilette du soir. Le fabricant n’a pas garanti la résistance mécanique du deuxième échangeur. Celui-ci fut donc immédiatement remplacé par un nouvel échangeur à plaques.

Nouvel échangeur à plaque.

> Enfin, le brûleur défectueux fut remplacé par un nouveau brûleur à deux allures. Celui-ci fut choisi pour pouvoir être adapté, dans le futur, à une chaudière légèrement plus puissante. Dans les deux chaudières, les tubes de fumée bouchés furent nettoyés et les pièces abîmées (spirales) furent remplacées.

Comparaison des solutions proposées
 Premières propositions Coût (€)
Une chaudière en plus dans la cascade 30,625 €
Chaudières dissociées pour l’eau chaude 14,390 €
Quatre ballons complémentaires 19,307 €
 Solutions retenues
Deux circulateurs à vitesse variable 1,218 €
Un détartrage* 691 €
Un nouvel échangeur* 4,417 €
Deux compteurs d’eau* 896 €
Nettoyage et réparation des chaudières* 1,774 €
Nouveau brûleur* (3 629 €)
Un manomètre 63 €
 Total sans brûleur 9,059 €

*Les investissements réalisés peuvent aussi être considérés comme de l’entretien ou faisant partie de la gestion courante de l’installation. Par exemple, le brûleur devait être remplacé, les échangeurs devaient de toute façon être détartrés, les compteurs d’eau serviront au suivi des consommations,…


Conclusion : développer une vision globale de l’installation

“Il fait trop froid, il faut augmenter la puissance, des chaudières, des circulateurs, des radiateurs, … !”

Ce raisonnement réducteur est très courant. Il conduit à des sur-investissements qui, la plupart du temps ne donnent pas satisfaction ou pire, aggravent la situation.

Il est extrêmement rare de rencontrer des installations sous-dimensionnées. Par exemple, une enquête suisse a montré que le débit des circulateurs est en moyenne 2,5 fois trop élevé ! Et que dire des chaudières ! Un raisonnement semblable peut donc être tenu pour les autres éléments de l’installation.

Pour établir des priorités d’intervention, il faut prendre le temps d’examiner de façon globale l’ensemble de l’installation, de la production à l’émission en passant par la distribution et la régulation. Il faut aussi aiguiller les recherches en repérant les circonstances d’apparition des plaintes : où et quand se plaint-on ?

On en arrive alors souvent à détecter un dysfonctionnement hydraulique : déséquilibre de l’installation, interférence entre les circuits. Une partie du réseau présentant moins de résistance court-circuite une partie importante du débit au détriment d’autres.

Un autre aspect que l’on néglige aussi est d’agir par la diminution des besoins. Plutôt que d’essayer d’augmenter la puissance des installations, pourquoi n’essayerait-on pas de diminuer les besoins ? C’est ce qui sera réalisé prochainement au Centre de Hemptinne. Dans le cadre de la rénovation des salles de bain, les baignoires seront en partie remplacées par des douches. Celles-ci consomment au minimum deux fois moins d’eau chaude.

Pour conclure, prenons un autre exemple, celui du Foyer International des Étudiants à Liège.

Dans ce centre d’hébergement, les locataires se plaignaient aussi d’un manque d’eau chaude sanitaire. Les responsables de l’institution ont dès lors envisagé de placer des ballons supplémentaires.

Un élément leur a cependant sauté aux yeux : la consommation d’eau importante de l’institution. En effet, cette dernière s’élevaità 217 litres par jour et par personne, alors que ce ratio n’est que de 80 litres dans un ménage moyen ! Dès lors plutôt que d’augmenter la capacité de production d’eau chaude, il fallait en diminuer la consommation. Des simples mesures avec un seau et un chronomètre ont montrés que certaines douches débitaient pas moins de 30 litres par minutes (une douche de 5 minutes consommait 150 litres d’eau chaude !).

Actuellement, les pommeaux de douche économiques permettent de ramener ces débits à moins de 8 litres par minute pour une sensation de confort identique. Cette solution a permis de diminuer les consommations d’eau et d’énergie et d’éviter un investissement nettement plus important.