Comparer le chauffage simple et la climatisation

Préambule – 2025 

L’article qui suit, “Comparer le chauffage simple et la climatisation”, publié en 2014, propose une analyse comparative rigoureuse et détaillée de différents systèmes de confort thermique pour un bureau type. Basée sur une simulation approfondie, cette étude met en lumière le compromis fondamental entre coût d’exploitation et niveau de confort, des principes qui restent au cœur des préoccupations actuelles. Cependant, la décennie qui s’est écoulée depuis sa publication a été le théâtre de bouleversements technologiques, économiques et réglementaires si profonds qu’ils en redéfinissent radicalement les conclusions.
Ce préambule a pour vocation de fournir une grille de lecture actualisée pour l’étude de 2014. Si la méthodologie comparative reste pertinente, les hypothèses sur lesquelles elle repose – notamment les coûts énergétiques et les technologies disponibles – sont aujourd’hui plutôt obsolètes. Nous explorerons ici les trois révolutions majeures qui obligent à réinterpréter cette analyse : la crise des coûts de l’énergie, l’avènement des systèmes intelligents et la généralisation des technologies de chauffage et de refroidissement à haute efficacité.

1. La Révolution Économique : L’Impact de la Flambée des Prix de l’Énergie

Le pilier de l’analyse de 2014 est une comparaison économique basée sur des coûts énergétiques qui nous semblent aujourd’hui incroyablement bas. L’étude postulait un coût de 16 c€/kWh pour l’électricité et 6,22 c€/kWh pour le chauffage au fioul. En 2024, la réalité est tout autre :
Le coût de l’électricité a explosé, atteignant environ 25 c€/kWh pour les consommateurs résidentiels, soit une augmentation de plus de 56%. Cette hausse spectaculaire modifie fondamentalement le poids du poste “transport” (ventilateurs, circulateurs) et du refroidissement dans le bilan global.
Le coût des énergies fossiles a également grimpé, bien que dans des proportions différentes, rendant le ratio électricité/gaz ou électricité/fioul très différent de celui de 2014.
L’introduction du coût du carbone, totalement absent de l’analyse initiale, est devenue une composante non négligeable. La taxe carbone et les quotas d’émission (ETS) pénalisent désormais directement les énergies fossiles, ajoutant une dimension environnementale et économique incontournable à l’équation.
Ces nouveaux paradigmes économiques signifient que la hiérarchie des coûts établie en 2014, où un système de conditionnement d’air était jugé 2,4 fois plus cher qu’une solution de base, doit être entièrement recalculée. L’efficacité énergétique n’est plus une simple option, mais un impératif économique absolu.

2. La Révolution Technologique : Au-delà des Éjecto-Convecteurs

L’étude de 2014 compare des systèmes qui, pour certains, paraissent aujourd’hui conventionnels. Le “conditionnement d’air” avec éjecto-convecteurs, présenté comme la solution la plus avancée, a été largement supplanté par des technologies bien plus performantes :
La pompe à chaleur (PAC) réversible : Grande absente de l’étude, la PAC est aujourd’hui une solution adaptée. Qu’elle soit air-air ou air-eau, une PAC moderne atteint des Coefficients de Performance (COP) de 4 à 6, signifiant qu’elle produit 4 à 6 kWh de chaleur ou de froid pour 1 kWh d’électricité consommé. Cette efficacité pulvérise les bilans énergétiques des systèmes de 2014 et rend la comparaison avec des radiateurs électriques ou des systèmes à air traditionnels presque caduque.
L’essor des systèmes radiants : le confort thermique est désormais souvent assuré par des systèmes à eau à basse température (planchers, murs ou plafonds chauffants/rafraîchissants). Ces solutions, en plus d’offrir un confort supérieur (pas de courants d’air, température homogène), sont parfaitement adaptées aux PAC et à la géothermie, car elles fonctionnent avec des régimes de température optimisés (ex: eau à 18°C pour le rafraîchissement).
L’intelligence artificielle au service de la sobriété : l’analyse de 2014 se base sur des consignes fixes (22°C en hiver, 24°C en été). Aujourd’hui, les systèmes de gestion (BMS) pilotés par IA optimisent ces consignes en temps réel. Ils apprennent les scénarios d’usage, intègrent les prévisions météo et dialoguent avec le réseau électrique pour consommer au meilleur moment et au meilleur coût, générant des économies supplémentaires de 15 à 25%.

3. La Révolution Méthodologique : De l’Analyse en Coût d’Exploitation à l’Analyse en Cycle de Vie

Enfin, la manière même d’évaluer la performance d’un bâtiment a changé. L’analyse de 2014, centrée sur le coût d’exploitation et les heures d’inconfort, est aujourd’hui considérée comme incomplète.
L’analyse en cycle de vie (ACV) : La réglementation (comme la RE 2020 en France) impose désormais une vision globale. On ne regarde plus seulement la consommation en phase d’usage, mais l’impact environnemental total du bâtiment, de l’extraction des matières premières à sa démolition. Le “carbone embarqué” dans les équipements CVC devient un critère de choix majeur.
Le coût global actualisé : L’analyse économique moderne intègre l’investissement initial, la maintenance, la durée de vie des équipements et leur valeur résiduelle, offrant une vision bien plus juste de la rentabilité d’une solution sur le long terme.
Le confort 2.0 : La notion de confort s’est enrichie. Au-delà de la température (PMV), on évalue désormais la qualité de l’air intérieur (COV, particules fines), le confort acoustique et visuel, et même l’impact sur le bien-être et la productivité des occupants (normes WELL, etc.).
En conclusion, l’étude de 2014 reste un excellent exercice pédagogique sur les fondamentaux de la comparaison énergétique. Cependant, ses conclusions chiffrées sont à considérer avec une extrême prudence. Le lecteur moderne doit la parcourir en gardant à l’esprit que le paysage a été remodelé : les coûts énergétiques ont changé les règles du jeu, les pompes à chaleur ont redéfini l’efficacité, et l’intelligence artificielle a transformé la gestion statique en une optimisation dynamique et prédictive. Le choix d’un système CVC en 2025 est un arbitrage complexe qui dépasse largement la simple comparaison des kWh consommés.

Introduction

Il est possible de comparer, pour un bâtiment donné, la consommation et le niveau de confort générés par différents niveaux d’équipements. Nous reprenons ci-dessous un extrait d’un vaste travail de simulation réalisé par l’ISSO aux Pays-Bas (les conditions de climat extérieur sont donc relativement comparables à ceux de nos régions).

Voici les hypothèses de travail :

La simulation porte sur un bureau de 4,1 m de façade sur 5,2 m de profondeur et 2,7 m de hauteur. Les consignes sont de 22°C en hiver et 24°C en été. L’inertie des parois est moyenne (sol en béton, pas de faux plafond, cloisons intérieures légères, soit 59 kg/m²). Les apports internes correspondent à l’éclairage et la présence d’une personne et de son PC par zone de 12 m² (35 W/m²). Le pourcentage de vitrage par rapport à la façade est de 50 %. Les murs extérieurs sont équipés de 8 cm d’isolant. Le bureau simulé est entouré d’autres bureaux dont les consignes sont similaires (pas d’échange avec les bureaux voisins). Des stores extérieurs limitent les apports solaires à 20 % de leur valeur lorsque ceux-ci dépassent 300 W/m². Le taux de renouvellement d’air est de 3/h pour les systèmes 2 et 4, et 4/h pour le système 3. Les pertes de charge du circuit de ventilation sont de 1 600 Pa. Un échangeur de chaleur est placé sur l’air de ventilation et son rendement est estimé à 75 %. Le coût de l’humidification est intégré.

Dans ce cas, en intégrant les rendements de production des équipements, les consommations annuelles sont [en kWh/m²] :

SUD EST OUEST NORD
1 Radiateurs + ventilation naturelle Chauffage : 78
Transport : 1
Inconfort : 370 h
Chauffage : 81
Transport : 1
Inconfort : 400 h
Chauffage : 81
Transport : 1
Inconfort : 450 h
Chauffage : 83
Transport : 1
Inconfort : 310 h
2 Radiateurs + ventilation mécanique double flux Chauffage : 58
Transport : 22
Inconfort : 260 h
Chauffage : 59
Transport : 22
Inconfort : 280 h
Chauffage : 60
Transport : 22
Inconfort : 310 h
Chauffage : 61
Transport : 22
Inconfort : 230 h
3 Radiateurs + ventilation mécanique double flux + rafraîchissement* + free cooling de nuit** Chauffage : 70
Refroidissement : 7
Transport : 30
Inconfort : 25 h
Chauffage : 72
Refroidissement : 7
Transport : 31
Inconfort : 45 h
Chauffage : 73
Refroidissement : 7
Transport : 31
Inconfort : 60 h
Chauffage : 74
Refroidissement : 7
Transport : 30
Inconfort :  20 h
4 Conditionnement d’air
(installation 4 tubes avec éjecto-convecteurs)
Chauffage : 83
Refroidissement : 14
Transport : 29
Inconfort : 0 h
Chauffage : 83
Refroidissement : 13
Transport : 29
Inconfort : 0 h
Chauffage : 83
Refroidissement : 14
Transport : 29
Inconfort : 0 h
Chauffage : 83
Refroidissement : 11
Transport : 29
Inconfort : 0 h

*Par “rafraîchissement” en été, on entend ici une pulsion d’air “rafraîchit” correspondant à 4 renouvellements horaires :

  • refroidit à une température de 18 [°C], lorsque la température extérieure est < 23 [°C]
  • refroidit à une température de (T°ext – 5°), lorsque la température extérieure est > 23 [°C]

**Par “free cooling de nuit”, on entend ici une pulsion d’air extérieur de ventilation correspondant à 4 renouvellements horaires, si T°ext < T°int  et si T°int > 20 [°C].

La rubrique “transport” représente l’énergie des circulateurs et ventilateurs.

Par “inconfort”, on entend le nombre d’heures durant la période de travail où le PMV (Vote Moyen Prédictif) des occupants serait > 0,5. Autrement dit, le nombre d’heures où l’on peut s’attendre à des plaintes du personnel… On considère que si ce nombre d’heures est inférieur à 100 heures par an, il s’agit d’une gêne temporaire tout à fait acceptable. Au-delà de 200 h/an, des mesures de refroidissement sont nécessaires pour garder un climat intérieur correct.

Les kWh de refroidissement sont ceux demandés au compresseur. Ils intègrent donc le COP de la machine frigorifique. Les besoins de froid du bâtiment seraient plus élevés.

Pour transcrire ceci en coût, on peut adopter les hypothèses suivantes

  • le kWh thermique (chauffage) revient à 6,22 c€, sur base d’un prix du fuel de 0,622 €/litre.
  • le kWh électrique (froid et transport) revient à 16 c€, puisque l’installation fonctionne en journée, 10 h sur 24, uniquement durant les jours ouvrables (251 jours par an)

Le tableau devient [en €/m² ] :

SUD EST OUEST NORD
1 Radiateurs + ventilation naturelle Chauffage : 4,85
Transport : 0,16
Inconfort : 370 h
Chauffage : 5,04
Transport : 0,16
Inconfort : 400 h
Chauffage : 5,04
Transport : 0,16
Inconfort : 450 h
Chauffage : 5,16
Transport : 0,16
Inconfort : 310 h
2 Radiateurs + ventilation mécanique double flux Chauffage : 3,61
Transport : 3,52
Inconfort : 260 h
Chauffage : 3,67
Transport : 3,52
Inconfort : 280 h
Chauffage : 3,73
Transport : 3,52
Inconfort : 310 h
Chauffage : 3,79
Transport : 3,52
Inconfort : 230 h
3 Radiateurs + ventilation mécanique double flux + rafraîchissement* + free cooling de nuit** Chauffage : 4,35
Refroidissement : 1,12
Transport : 4,80
Inconfort : 25 h
Chauffage : 4,48
Refroidissement : 1,12
Transport : 4,80
Inconfort : 45 h
Chauffage : 4,54
Refroidissement : 1,12
Transport : 4,80
Inconfort : 60 h
Chauffage : 4,60
Refroidissement : 1,12
Transport : 4,80
Inconfort :  20 h
4 Conditionnement d’air
(installation 4 tubes avec éjecto-convecteurs)
Chauffage : 5,16
Refroidissement : 2,24
Transport : 4,64
Inconfort : 0 h
Chauffage : 5,16
Refroidissement : 2,08
Transport : 4,64
Inconfort : 0 h
Chauffage : 5,16
Refroidissement : 2,24
Transport : 4,64
Inconfort : 0 h
Chauffage : 5,16
Refroidissement : 1,76
Transport : 4,64
Inconfort : 0 h

Si les coûts sont à présent globalisés et ramenés à une échelle de 100 pour la situation 1 (radiateurs et ventilation naturelle) :

SUD EST OUEST NORD
1 Radiateurs + ventilation naturelle Coût : 100
Inconfort : 370 h/an
Coût : 104
Inconfort : 400 h/an
Coût : 104
Inconfort : 450 h/an
Coût : 105
Inconfort : 310 h/an
2 Radiateurs + ventilation mécanique double flux Coût : 146
Inconfort : 260 h/an
Coût : 144
Inconfort : 280 h/an
Coût : 145
Inconfort : 310 h/an
Coût : 146
Inconfort : 230  h/an
3 Radiateurs + ventilation mécanique double flux + rafraîchissement* + free cooling de nuit** Coût : 205
Inconfort : 25 h/an
Coût : 208
Inconfort : 45 h/an
Coût : 209
Inconfort : 60 h/an
Coût : 210
Inconfort :  20 h/an
4 Conditionnement d’air
(installation 4 tubes avec éjecto-convecteurs)
Coût : 240
Inconfort : 0 h/an
Coût : 237
Inconfort : 0 h/an
Coût : 240
Inconfort : 0 h/an
Coût : 231
Inconfort : 0 h/an

Analyse des résultats

Dans les hypothèses prises pour la simulation, le coût d’exploitation global généré par le système de conditionnement d’air est évalué à 6,5 €/m²/an. Il est 4 fois plus onéreux que le système par simples radiateurs, mais ce dernier n’est plus acceptable dans un bureau aux standards de construction actuels, si des mesures particulières de limitation des charges ne sont pas prises.

Le coût du transport de l’air de ventilation et de climatisation est également un poste majeur dans le bilan financier. Mais les hypothèses de dimensionnement choisies par l’équipe de recherche sont particulièrement défavorables au transport (taux de renouvellement d’air élevé et pertes de charge du réseau élevées) et favorables au bilan thermique (échangeur de chaleur sur l’air extrait pour préchauffer l’air de ventilation en hiver, et stores pour limiter les apports solaires d’été). Il n’empêche que le coût du transport est un poste à ne pas négliger et que le choix du système de climatisation sera déterminant à ce niveau.

Dans d’autres simulations de cette étude, il apparaît que seuls les bâtiments dont la charge interne est limitée à 20 W/m² (ce qui correspond à une situation d’absence d’équipement bureautique), peuvent encore se passer d’un système de refroidissement. C’est le cas du secteur domestique, mais pas du secteur des bureaux…

Concevoir

 Alors … la climatisation des bureaux, un mal nécessaire ?