Introduction

La transition énergétique du secteur du bâtiment représente un défi majeur pour atteindre les objectifs climatiques européens et wallons. Dans ce contexte, la Commission européenne a publié le 18 octobre 2024 un avis officiel concernant la suppression progressive des incitations financières en faveur des chaudières utilisant des combustibles fossiles. Cette mesure s’inscrit dans le cadre de la refonte de la directive sur la performance énergétique des bâtiments (directive PEB), qui vise à décarboner totalement le parc immobilier européen d’ici 2050. Cet article analyse les implications concrètes de cet avis pour les professionnels et les particuliers en Wallonie, en détaillant les dispositifs concernés, les échéances à respecter et les alternatives à privilégier dans le cadre de la transition vers des systèmes de chauffage décarbonés.

Cadre juridique et échéances

L’avis de la Commission européenne (référence C/2024/6206) publié au Journal officiel de l’Union européenne le 18 octobre 2024 fournit des orientations concernant l’article 17, paragraphe 15, de la refonte de la directive PEB. Cette disposition prévoit que :”Les États membres ne prévoient pas d’incitations financières pour l’installation de chaudières autonomes utilisant des combustibles fossiles à partir du 1er janvier 2025.”Le calendrier de mise en œuvre s’articule autour de plusieurs échéances clés :

• 28 mai 2024 : Entrée en vigueur de la refonte de la directive PEB•1er janvier 2025 : Date limite pour la suppression des incitations financières en faveur des chaudières fossiles

• 29 mai 2026 : Date limite pour la transposition complète de la directive PEB révisée dans le droit nationalPour la Wallonie, cette mesure s’inscrit dans le cadre plus large de la Stratégie wallonne de Rénovation Énergétique à Long Terme, qui vise la neutralité carbone du parc immobilier d’ici 2050.

Définitions et champ d’application

Pour bien comprendre la portée de cette mesure, il est essentiel de clarifier les définitions établies par la Commission européenne :

Chaudières concernées

L’interdiction s’applique aux chaudières autonomes utilisant des combustibles fossiles, définies comme :

• Des équipements combinant un corps de chaudière et un brûleur destinés à transmettre à des fluides la chaleur libérée par la combustion

• Qui ne sont pas combinées avec un autre générateur de chaleur utilisant de l’énergie renouvelable fournissant une part considérable de la production énergétique

• Qui utilisent des combustibles fossiles (combustibles solides, gaz naturel, pétrole)

Incitations financières visées

Le terme “incitations financières” est interprété au sens large comme :

• Les aides économiques accordées par un organisme public et/ou provenant de ressources publiques

• Les subventions directes aux acheteurs et installateurs

• Les financements et outils financiers (prêts à taux réduits, garanties)

• Les incitations fiscales (taux d’imposition réduits)

• Tout autre mécanisme de soutien financier public

Cas particuliers et exceptions

L’avis précise plusieurs cas particuliers importants :

  1. Chaudières à gaz : Une chaudière à gaz est considérée comme “utilisant des combustibles fossiles” si le réseau gazier local transporte principalement du gaz naturel au moment de l’installation. Si le réseau transporte principalement des combustibles renouvelables, l’installation peut bénéficier d’incitations.
  2. Systèmes hybrides : Les incitations pour les systèmes de chauffage hybrides (combinant une chaudière avec une source d’énergie renouvelable comme une pompe à chaleur ou des panneaux solaires) restent possibles, mais doivent être proportionnelles à la quantité d’énergie renouvelable utilisée.
  3. Appareils exclus : Les poêles et les unités de microcogénération ne sont pas concernés par cette interdiction car ils ne relèvent pas de la définition des chaudières.

Impact sur les dispositifs wallons de soutien

Dispositifs concernés par l’interdiction

À partir du 1er janvier 2025, plusieurs mécanismes de soutien wallons ont seront adaptés :

1. Primes Habitation : Les volets concernant l’installation de chaudières à condensation au gaz naturel devront être supprimés ou réorientés vers des technologies décarbonées.

2. Primes Énergie pour les entreprises : Les incitations pour les chaudières à haut rendement utilisant des combustibles fossiles devront être supprimées.

3. Déductions fiscales : Les avantages fiscaux pour l’installation de chaudières fossiles devront être révisés au niveau fédéral.

4. Certificats verts : Bien que les unités de cogénération ne soient pas explicitement visées par l’avis, le soutien à la cogénération fossile via le mécanisme des certificats verts devra être réexaminé.

Dispositifs non concernés par l’interdiction

Certains mécanismes de soutien peuvent être maintenus :

1. Aides sociales : Le tarif social pour le gaz et les aides du Fonds Social Chauffage peuvent être maintenus car ils relèvent des mesures de soutien à la consommation et non à l’installation.

2. Primes à la réparation : Les aides à l’entretien ou à la réparation des chaudières existantes ne sont pas concernées.

3. Primes à la démolition : Les incitations à la mise hors service des anciennes chaudières peuvent être maintenues.

4. Mesures temporaires pour les ménages vulnérables : Des mesures de soutien temporaires peuvent être mises en place pour les ménages vulnérables, à condition qu’elles s’accompagnent de mesures structurelles visant à remédier aux causes profondes de la précarité énergétique.

Exception pour les projets financés par des fonds européens

L’article 17, paragraphe 15, prévoit une exception à l’interdiction si les incitations à l’investissement remplissent simultanément deux conditions :

1. Elles sont financées par :

• La facilité pour la reprise et la résilience

• Le Fonds européen de développement régional (FEDER) et le Fonds de cohésion (uniquement pour remplacer les installations à base de charbon, tourbe, lignite ou schiste bitumineux)

• Les fonds de développement rural

2. Elles ont été sélectionnées en vue d’un investissement avant 2025

Pour la Wallonie, cette exception pourrait concerner certains projets de rénovation énergétique financés dans le cadre du Plan de relance et de résilience ou des programmes FEDER 2021-2027.

Alternatives et recommandations pour les professionnels

Technologies de chauffage à privilégier

Face à cette évolution réglementaire, les professionnels du secteur doivent s’orienter vers les solutions de chauffage décarbonées :

1.Pompes à chaleur : Aérothermiques, géothermiques ou hydrothermiques, elles constituent la solution privilégiée pour la décarbonation du chauffage (ADEME, Guide pratique des pompes à chaleur, 2023).

2. Chaudières biomasse : Les chaudières à granulés ou à plaquettes forestières représentent une alternative renouvelable, particulièrement adaptée aux zones rurales (ValBiom, 2024).

3. Systèmes solaires thermiques : En complément d’autres solutions, ils permettent de réduire significativement les besoins en énergie pour le chauffage et l’eau chaude sanitaire (APERe, 2024).

4. Réseaux de chaleur : Le raccordement à des réseaux de chaleur alimentés par des énergies renouvelables constitue une solution efficace en milieu urbain dense (CWaPE, Rapport sur les réseaux de chaleur en Wallonie, 2024).

5. Systèmes hybrides : La combinaison d’une pompe à chaleur avec une chaudière existante peut constituer une solution transitoire, à condition que la part d’énergie renouvelable soit significative (Section 4.3 de l’avis C/2024/6206).

Recommandations pour l’accompagnement des clients

Les professionnels du secteur peuvent adopter plusieurs approches pour accompagner leurs clients dans cette transition :

1.Privilégier la réparation : Pour les chaudières existantes encore fonctionnelles, privilégier la réparation plutôt que le remplacement par une nouvelle chaudière fossile.

2. Proposer des solutions temporaires : Pour les ménages vulnérables, envisager des solutions temporaires comme la location de chaudières, tout en préparant une transition vers des systèmes décarbonés.

3. Renforcer l’accompagnement des ménages vulnérables : Informer les clients sur les aides spécifiques disponibles pour les ménages à faibles revenus (Fonds Social Chauffage, 2024).

4. Adopter une approche globale : Intégrer le remplacement du système de chauffage dans une réflexion plus large sur la rénovation énergétique du bâtiment (isolation, ventilation, etc.) (Stratégie wallonne de Rénovation Énergétique à Long Terme, 2020).

Implications pour la politique énergétique wallonne

Mesures d’adaptation nécessaires

Pour se conformer à l’avis de la Commission européenne, plusieurs adaptations seront nécessaires au niveau wallon :

1.Révision des primes : Réorientation des budgets des primes Habitation vers les systèmes de chauffage renouvelables et les rénovations globales.

2. Renforcement des aides pour les ménages vulnérables : Création de mécanismes de soutien spécifiques pour faciliter la transition des ménages précaires vers des systèmes décarbonés.

3. Formation des professionnels : Accélération des programmes de formation aux technologies de chauffage renouvelable pour les installateurs.

4. Accompagnement technique : Renforcement des services de conseil en énergie (Guichets Énergie) pour orienter les citoyens vers les solutions adaptées à leur situation.

5. Clarification réglementaire : Mise à jour des textes réglementaires wallons pour assurer la cohérence avec les exigences européennes.

Opportunités pour la filière des énergies renouvelables

Cette évolution réglementaire représente une opportunité significative pour le développement de la filière des énergies renouvelables en Wallonie (Cluster TWEED, 2024) :

1.Création d’emplois : Le déploiement massif des technologies de chauffage renouvelable générera des emplois locaux non délocalisables (EDORA, 2023).

2. Innovation technologique : Stimulation de la recherche et développement dans les technologies de chauffage décarboné adaptées au contexte wallon (Pôle MecaTech, 2024).

3. Développement de filières locales : Opportunité de structurer des filières locales, notamment pour la biomasse-énergie (ValBiom, 2024).

4. Réduction de la dépendance énergétique : Diminution de la dépendance aux importations de combustibles fossiles (Plan National Énergie-Climat, 2019).

Conclusion

L’avis de la Commission européenne sur la suppression progressive des incitations financières en faveur des chaudières fossiles marque une étape importante dans la transition énergétique du secteur du bâtiment.

Pour la Wallonie, cette mesure implique une adaptation rapide des dispositifs de soutien existants et une accélération du déploiement des technologies de chauffage décarbonées.

Les professionnels du secteur doivent anticiper cette évolution en se formant aux nouvelles technologies et en adaptant leur offre de services. Les pouvoirs publics wallons devront quant à eux veiller à ce que cette transition soit juste et inclusive, en accordant une attention particulière aux ménages vulnérables.Cette mesure s’inscrit dans une dynamique plus large de décarbonation du parc immobilier, qui constitue un levier essentiel pour atteindre les objectifs climatiques de la Wallonie à l’horizon 2050.